Loyers Covid 19 : bien loin de la catastrophe annoncée (CA PARIS, 30 mars 2022, n° 21/16710)

Le débat de principe consistant à savoir si les loyers commerciaux restés impayés pendant les périodes de confinement liées à la crise sanitaire de la COVID19 reste d’actualité.

Certains locataires continuent de s’opposer au paiement des loyers pendant ces périodes de confinement en raison de la fermeture de leurs commerces résultant des décisions gouvernementales.

Dans ce débat, certains ont considéré que l’arrêt par la Cour d'Appel de PARIS le 30 mars 2022 mettait un terme au débat en considérant que les loyers dus pendant les périodes de fermeture liées à la COVID 19 ne seraient pas dus.

La lecture attentive de cette décision permet de conclure que le débat est loin d’être tranché.

En effet, les locataires ont invoqué divers moyens de droit pour tenter d’échapper au paiement des loyers.


L’exception d’inexécution prévue à l’article 1219 du Code Civil

« Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. »

L’argument a fait long feu puisque la jurisprudence tend à considérer que les fermetures ont résulté de mesures de fermeture administrative, de sorte que aucun manquement des bailleurs à l’obligation de mise à disposition des locaux n’est constituée. (CA PARIS, 18 mars 2021, n° 20/13420 ; AJDI juin 2021 - CA PARIS, Pôle 1, Chambre 2, 25 mars 2021, n° 20/13593 ; AJDI juin 2021)


La force majeure prévue à l’article 1218 du Code Civil

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.

Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »

La jurisprudence ne semble pas retenir davantage la force majeure, dans la mesure où le preneur ne justifie pas l’impossibilité totale de régler les loyers dus, notamment au regard des aides qui ont été consenties par l’état. CA RIOM, 1ère chambre civile, 2 mars 2021, n° 2021-003263 - CA LYON, 8ème chambre 31 mars 2021, n° 20/05237 - CA PARIS, 18 mars 2021, n° 20/13420 ; AJDI juin 2021)


Le manquement à l’obligation de délivrance prévue à l’article 1720 du Code Civil

« Le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce.

Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives. »

Sur ce terrain également, la jurisprudence considère que le bailleur n’est pas défaillant dans son obligation de mise à disposition des locaux. (CA PARIS, Pôle 1, Chambre 2, 25 mars 2021, n° 20/13593)


La théorie de l’imprévision

L’imprévision a été insérée à l’article 1195 du Code Civil par la réformes du droit des obligations

intervenue par l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016. En vertu de ce texte :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe. »

La jurisprudence tend à considérer que l’épidémie de COVID 19 ne rend pas l’exécution de l’obligation de paiement des loyers plus onéreuse et que les conditions ne sont donc pas remplies. En outre, le preneur ne peut se dispenser du paiement des loyers puisque le texte contraint le débiteur de l’obligation de la maintenir pendant la période de renégociation. (TC PARIS, 11 décembre 2020, n° 2020/035120)


La perte de la chose louée L’article 1722 du Code Civil stipule que :

« Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement. »

La Cour d'Appel de PARIS a effectivement rejeté l’ensemble des moyens soulevés mais s’est emparée de l’argument résultant de la perte de la chose louée. Certains ont pu considérer que cet arrêt consacre la possibilité pour les commerces ayant une fermeture administrative de demander le remboursement du loyer à leur bailleur.

Il convient de replacer cette décision dans son contexte. En effet, la Cour d'Appel de PARIS a statué comme juridiction d’appel d’une ordonnance de référé rendue par le Tribunal Judiciaire de PARIS le 9 septembre 2021.

La Cour d'Appel a considéré que :

« La destruction de la chose louée peut s’entendre de la perte matérielle de la chose louée mais aussi d’une perte juridique notamment en raison d’une décision administrative et la perte peut être totale ou partielle, la perte partielle pouvant s’entendre de toute circonstance diminuant sensiblement l’usage de la chose. La perte partielle de la chose louée peut être définitive mais également temporaire. »

La Cour d'Appel l’a appliqué à la perte de jouissance de la chose louée en raison des périodes de fermeture. Néanmoins, la conséquence tirée par la Cour d'Appel est que le moyen résultant de l’article 1722 du Code Civil constitue une contestation sérieuse relevant de la juridiction du fond.

L’applicabilité des dispositions de l’article 1722 du Code Civil aux périodes de fermeture liées à la crise sanitaire de la COVID 19 n’est donc nullement avérée.

Le débat se poursuit et mérite que les juridictions du fond se prononcent.